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La cité du cinéma
Benito Mussolini en a posé la première pierre le 26 janvier 1936. Cinecittà est née en effet d’un rêve de domination : faire de la banlieue de Rome un "Hollywood-sur-Tibre", capable de rivaliser dans l’Europe de l’ordre nouveau fasciste avec les productions de la Mecque américaine. L’idée en avait germé dans l’esprit de Luigi Freddi, chef de la Direction générale du cinéma du gouvernement fasciste. Ce qui est alors le plus grand studio de cinéma d’Europe - s’étendant sur soixante hectares, à neuf kilomètres au sud de la capitale italienne - sortit de terre en seulement quinze mois de grands travaux. Grâce au soutien de l’Etat, les premières années sont fastes : de 1937 à 1943, quelque 300 films y sont produits.
Depuis sa création en 1937, le site a accueilli de nombreuses productions cinématographiques comme Ben-Hur, La Dolce Vita, Gangs of New York ou encore la série Rome.
Cinecittà
L’époque des romances
Le premier film, réalisé en 1937, est Scipion l’Africain, de Carmine Gallone. « Un hommage à la grandeur romaine ! » ironise Giuseppe Basso. Immergée dans un parc verdoyant, Cinecittà s’étend alors sur 59 hectares (40 en 2016), compte 73 édifices dont 5 studios de tournage (21 aujourd’hui), 2 piscines pour scènes maritimes (dont une de 7 000 m2 encore utilisée, parmi la dizaine actuellement en fonction).
Entre théâtres et services techniques (son, lumière, montage, menuiserie, peinture, sculpture, couture…), tout est parfait
C’est l’époque des romances, sur fond d’intrigues qui se dénouent au bout de téléphones blancs, symbole de luxe. Ces films contournent totalement la réalité sociale et politique du pays.
Occupés par les Allemands en 1943, les studios seront réquisitionnés à l’été 1944 par les Alliés qui les utiliseront comme camp de réfugiés pour des milliers de personnes. Une page d’histoire à découvrir dans Profughi a Cinecittà (2012), du documentariste Marco Bertozzi.
Du cinéma de propagande au western spaghetti
Située dans la banlieue de Rome, Cinecittà est une véritable ville dans la ville. La cité s’étend sur 60 hectares et comprend notamment 19 plateaux de tournage intérieurs, plusieurs dizaines de kilomètres de rues, des jardins, des théâtres, des hôtels, des restaurants ainsi que des piscines.
Plus de 4 000 films, dont 47 oscarisés, ont été tournés dans la « ville du cinéma », édifiée et inauguré sous Mussolini dans un quartier populaire du sud-est de Rome. Le site a accueilli les plus grandes figures du septième art, de Federico Fellini, Sergio Leone à Martin Scorsese.
L’entrée principale de Cinecittà, via Tuscolana, semble inchangée depuis soixante-dix-neuf ans. Même architecture typique de l’époque fasciste. Mêmes couleurs rose-ocre. Aucun onirisme dans l’esthétique.
« Gardons en mémoire que les studios sont nés pour l’industrialisation du cinéma en Italie. Il faut donc un peu gommer le romantisme qu’ils incarnent », explique Giuseppe Basso, administrateur délégué de Cinecittà Studios.
De fait, les débuts de la « ville du cinéma » n’ont rien de romantique.
De retour des États-Unis en 1934, Luigi Freddi, chef de la Direction générale de la cinématographie, lance l’idée de fonder le plus grand complexe de création cinématographique en Europe.
L’objectif est de défier Hollywood. Mais aussi de développer le ciné-journal et les films de propagande dans ce pays qui compte, à l’époque, 30 % d’illettrés.
Mussolini pose la première pierre le 30 janvier 1936.
Quinze mois plus tard, il inaugure les studios, avec son cortège de hiérarques devant lequel il affirme : « Le cinéma est l’arme la plus forte. »
Quo Vadis, Ben-Hur, Bellissima…
Au sortir de la guerre, Roberto Rossellini signe l’acte de naissance du néoréalisme avec "Rome ville ouverte" (1945).
Durant cette période, suspendue entre désolation et espoir, Rossellini comme Vittorio De Sica (Le Voleur de bicyclette) et Luchino Visconti (La terre tremble) cherchent à rendre compte des mutations de la société italienne et se tournent vers les décors naturels.
De Sica l’expliquera en ces termes :
« Chacun ressentit le désir fou de jeter en l’air toutes les vieilles histoires du cinéma italien, de planter la caméra au milieu de la vie réelle, au milieu de tout ce qui frappait nos yeux atterrés. »
Il faut dire aussi que tourner à Cinecittà était impossible, les théâtres scéniques qui n’avaient pas été transformés en abri ayant été bombardés.
Le premier film de l’après-guerre réalisé à Cinecittà sera Cuore, de Duilio Coletti (1947), adaptation du roman Le Livre-cœur d’Edmondo de Amicis.
Et c’est bientôt l’armada des péplums américains qui envahit l’usine à rêves reconstruite. Parmi les plus célèbres, Quo Vadis de Mervyn Le Roy (3 000 costumes créés) et Ben-Hur de William Wyler, qui remportera 11 Oscars (300 décors construits, 400 000 figurants au total !).
Les années 1950, celles de Vacances romaines, de l’apparition des paparazzis, seront aussi marquées par l’utilisation des studios pour le concours Miss Italia. Dans Bellissima, Visconti illustre admirablement le pathétique des mères avec leur potentielle starlette.
Le temple de Fellini
Au début des années 1960, au cœur « du miracle économique », on entre dans l’ère des comédies à l’italienne et de la Dolce Vita, chef-d’œuvre de Fellini qui fait du Teatro 5 (3 000 m2) son lieu de vie préféré.
Aucun cinéaste n’y a autant tourné : du Cheik Blanc (1952) à La Voce della Luna (1989) en passant par Les Vitteloni, La Strada, Amarcord, Casanova et Intervista. Comment ne pas évoquer l’hommage que Jean-Luc Godard rend à ces studios déjà mythiques dans Le Mépris (1963), où Fritz Lang est censé tourner une adaptation de L’Odyssée.
Entre la fin de la saison des westerns spaghetti, inaugurée à Cinecittà par Sergio Leone, père du western spaghetti qu'il popularise largement sans toutefois l'inventer, (Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus et Le Bon, la Brute et le Truand qui sont souvent considérés comme des classiques du cinéma) et les années 1980, le cinéma traverse une grave crise.
Le boom des productions télévisées, notamment avec l'arrivée des télés berlusconiennes clôt le chapitre de l’âge d’or de Hollywood-sur-Tibre.
« Ce fut une longue traversée du désert. La lumière d’humanisme de la belle époque de Cinecittà s’est éteinte », raconte Aldo Tassone, historien du cinéma.
Sauver Cinecittà…
Entre-temps, la télévision a investi les plateaux des studios romains.
Privatisée en 1997, convertie au numérique grâce à un investissement de près de 30 millions d’euros, Cinecittà n’accueille pourtant plus qu’occasionnellement des superproductions hollywoodiennes.
Il est notable que la plupart des signataires de la pétition pour sa sauvegarde qui circule aujourd’hui Costa-Gavras, Claude Lelouch, Ken Loach... n’y ont jamais tourné.
Martin Scorsese y recréa, lui, le Manhattan de la fin du XIXe siècle pour "Gangs of New York" (2002) ; Tom Cruise y a mené une partie de son "Mission : Impossible III" (2006).
Echo de son passé prestigieux, des légionnaires romains y défilèrent encore dans un Forum de carton-pâte pour les besoins des deux saisons de la série "Rome" produite par HBO (2005-2007).
Dans la nuit du 9 au 10 août 2007, répétition ironique de l’histoire, un court-circuit y provoqua un nouvel incendie de "Rome". Quelque 4 000 m² du complexe partirent en fumée, sinistre présage du crépuscule des lieux.