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L'archipel gay de Mussolini

Un épisode tabou

Clés de voûte de l'Italie du Duce, ni les lois fascistissimes ni les lois raciales ne prévoyaient de peines spécifiques à l'encontre des homosexuels.
Inutile, car d'après Mussolini, tous les hommes italiens étaient "mâles, actifs et virils", résume Luca De Santis, auteur de la BD "En Italie, il n'y a que des vrais hommes".

Il revient notamment sur cet épisode longtemps resté tabou : quand Mussolini, en 1938, a fait enfermer des dizaines de Siciliens à environ 600 km de chez eux, à San Domino, dans l'archipel des Tremiti, au seul motif qu'ils étaient homosexuels.

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Le contexte

De 1922 à 1943, Benito Mussolini a imposé à l’Italie un régime totalitaire de type fasciste, en utilisant la police pour traquer et éradiquer tous les « éléments indésirables », dont les homosexuels.

Il a ordonné le retrait d'un article du code pénal qui cherchait à sanctionner l'homosexualité comme un délit. L'accepter revenait à reconnaître son existence, et ce qui était pire, remettait en question le mythe de la virilité italienne.

Un décret de 1931 autorisant des « mesures de nettoyage » contre ceux qui mettaient en danger la morale et les bonnes manières, mieux valait agir en dehors de la loi, en silence, en harcelant et en effectuant des descentes illégales, en extorquant et en maltraitant les homosexuels.

Il s'agissait de balayer et de cacher la poussière sous le tapis en quelque sorte. Entre 1938 et 1943, des centaines d’homosexuels, « Culattoni », ont été déportés vers des îles minuscules et perdues de la géographie italienne, et ce dans des conditions inhumaines.

Les principales étaient Lampedusa, San Domino, Favignana et Ustica. Certaines d’entre elles servaient de prison depuis l’époque de l’Empire romain.

Dans la plupart de ces îles les homosexuels partageaient leur exil avec des prisonniers de droit commun, comme dans le cas de Favignana ou avec ceux que le régime fasciste considérait comme indésirables de toutes sortes comme les communistes, les anarchistes, les socialistes, les républicains et même les témoins de Jéhovah.

Cet amalgame était entassé dans un véritable camp de concentration à Ustica.

Mais l’une de ces îles restera dans l’histoire en raison de la particularité d’héberger uniquement une population homosexuelle recluse, l’île de San Domino.

San Domino, l'île aux gays

En 1938, selon les directives de Mussolini, le maire de Catane, en Sicile, décida d’enrayer « la propagation de cette dégénérescence » en rassemblant tous les hommes homosexuels et en les envoyant à San Domino, une île située à presque 600 km de là.

Depuis lors, San Domino est connue comme « l’île aux gays » du régime mussolinien.

Bien que l’homosexualité n’ait pas été formellement interdite par Mussolini, elle n’en restait pas moins considérée comme une maladie mentale allant à l’encontre des principes fascistes, et notamment de « l’Homme nouveau », un homme viril qui incarnait la discipline militaire la plus stricte.

C’est pourquoi le régime cherchait à traquer les hommes homosexuels, en envoyant par exemple des mouchards dans les lieux de rencontres gays, et à se débarrasser d’eux en les assignant à résidence, ce qu’on appelle en italien le confino, c’est-à-dire l’internement.

Le maire de Catane déplore ainsi que « dans les bals, sur les plages et dans les montagnes, on trouve beaucoup de ces hommes dépravés. Et des jeunes de toutes les classes sociales recherchent leur compagnie ». Il estime que sa municipalité devrait « à tout le moins chercher à contenir une telle aberration sexuelle, qui contrevient aux bonnes mœurs et qui est catastrophique, tant du point de vue de la santé publique que de celui de l’amélioration de la race ».

Cette année-la, la police et les autorités municipales rassemblèrent donc 45 hommes homosexuels de Catane et de sa région et les déportèrent à San Domino, une île de l’archipel de Trimiti, dans la mer Adriatique, à deux heures de ferry de la côte.

Si l’île est aujourd’hui un petit paradis touristique, il n’en était pas de même à l’époque fasciste.

Il n’y a plus de survivants parmi les gays déportés, mais des historiens ont établi qu’ils arrivaient à San Domino menottés et étaient installés dans des dortoirs dépourvus d’eau courante ou d’électricité. Ils étaient soumis à un couvre-feu tous les soirs à partir de 20h.

San Domino n’est pas à la seule île où des hommes homosexuels furent déportés (en compagnie d’autres prisonniers politiques) sous le régime fasciste. En revanche, c’est la seule dont tous les prisonniers étaient homosexuels.

Malgré des conditions de vie très dure, elle offrait aux déportés la possibilité de vivre leur homosexualité plus ouvertement que chez eux.

Ils n'avaient ni eau courante, ni électricité, ils étaient tenus aux travaux forcés (ramasser du bois, par exemple), mais ils pouvaient sortir la journée.

Mieux : personne dans la population ne les maltraitait. C'est également ce que racontent les habitants de San Domino interrogés dans un épisode de l'émission "Invitation au voyage", sur Arte.tv.

On apprend que ceux qui étaient surnommés les femminelle (un mot d'argot italien pour désigner les gays) avaient été bien accueillis par les îliens de San Domino. Sans avoir à mentir ni à se cacher, ils ont bénéficié pendant leur exil d'une tolérance qu'ils n'avaient jamais connue ailleurs en Italie. Ils pouvaient, par exemple, se vêtir en femmes sans craindre les représailles.

Un ancien déporté, Giuseppe B., a ainsi raconté bien des années plus tard que, à l’époque de Mussolini, un homme efféminé ne pouvait pas sortir de chez lui sans risquer d’être harcelé par la police. Mais « sur l’île, à l’inverse, nous pouvions fêter nos saints ou l’arrivée d’un nouveau prisonnier. Nous faisions du théâtre et nous pouvions nous habiller en femmes sans que personne n’y trouve quoi que ce soit à redire ».

L’internement sur l’île de San Domino prit fin avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, en 1939. Giuseppe B. affirme que certains des déportés ont pleuré à l’idée d’être séparés de leurs nouveaux amis ou amants pour être assignés à résidence une fois rentrés chez eux, pour retourner dans les placards sombres d’une Italie qui condamnait et criminalisait.

L’histoire de San Domino, tombée relativement dans l’oubli, a été racontée en 2008 par de Gianfranco Gorretti et Tommaso Giartosi avec la publication du livre "La città e l'isola", la ville et l'île, lui-même à l'origine du roman graphique  "In Italia Sono Tutti Maschi" de Luca de Santis et Sara Colaone, traduit et édité en français par les éditions Dargaud en 2010 sous le titre En Italie, il n’y a que des vrais hommes, et par la comédie musicale San Domino, créée en 2018 par Tim Anfilogoff et Alan Whittaker.

Des militants LGBTQ italiens ont également installé sur l’île une plaque commémorative pour rappeler ce pan méconnu de l’histoire LGBTQ.

Sources : Magazine GEO
Daniel Villareal pour Hornet

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La città e l'isola

Gianfranco Goretti
Tommaso Giartosio

2008

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En Italie il n'y a que des vrais hommes

Lucas De Santis
Sara Colaone

2010

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Coup d'oeil à...

Voici les ouvrages retraçant l'événement :

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