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La Camorra

Vieille société secrète espagnole ? Héritière de la police des Bourbon ? L’origine de la mafia napolitaine est nébuleuse. On fait le point.

La Camorra ou Bella Società Riformata, Società dell’Umirtà, Onorata Società, O Sistema, ou encore mafia napolitaine, est une organisation mafieuse italienne clanique implantée essentiellement à Naples et en Campanie.

À la différence des autres organisations mafieuses italiennes, elle se caractérise par ses origines urbaines et son absence de hiérarchie globale.

Même son étymologie demeure incertaine. Elle apparaît entre 1799 et 1815 dans le contexte tumultueux de la réunification italienne à Naples. C'est la plus vieille organisation criminelle d'Italie. Très intégrée dans la population, surtout dans les milieux les plus pauvres, elle est définie, dès 1863 par l'érudit Marco Monnier, comme « l’extorsion organisée, une société secrète populaire dont la finalité est le mal ».

Elle s’est diffusée dans d'autres provinces de Campanie, notamment dans la province voisine de Caserte, avant que ses activités criminelles s'étendent plus largement en Italie puis de manière internationale.

Au début du XXIe siècle, suivant les sources, le nombre total de ses membres oscille entre 4 500 et 7 000 dans la région de Campanie, organisés autour d'une centaine de familles ou clans. Son chiffre d'affaires annuel est lui évalué dans une fourchette comprise entre 3,8 et 12,5 milliards d'euros.

L'absence de structure hiérarchique de la Camorra amène régulièrement les clans à se livrer à des luttes sanglantes qui peuvent occasionner plusieurs dizaines de morts par an.

Ajoutons que, contrairement aux Siciliens de Cosa Nostra, les clans de la Camorra ne connaissent pas de code d’honneur, mais une seule loi, celle de l’argent.

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L'évolution

Mais une véritable structuration de la Camorra s'opère dans la dernière partie du XIXe siècle, avec l'apparition du suffrage capacitaire (1882) et l'émergence d'une nouvelle classe bourgeoise accédant aux sphères politique et administrative : à côté de la « basse » Camorra historique qui regroupait voleurs, maîtres chanteurs et tueurs, apparaît une « haute » Camorra qui a recours au crime organisé pour faire fructifier ses affaires.

Une « Camorra administrative » émerge également qui s'immisce progressivement dans les rouages de la ville : le clientélisme et les détournements se généralisent tandis que les scandales se multiplient à tel point qu'une Commission royale d'enquête sur Naples est mise en place en 1900, dirigée par Giuseppe Saredo, qui met en lumière la véritable prédation que la Camorra exerce sur la ville.

Il faut attendre 1911 et le procès Cuocolo pour voir la première offensive judiciaire importante contre la Camorra : une dizaine de camorristes sont condamnés pour un meurtre interne au milieu, sur base de témoignages qui préfigurent les repentis.

Différents facteurs contribuent en outre au déclin de l'organisation : l'émigration massive vers les Amériques, l'impact d'une loi spéciale pour l'industrialisation de 1904, l'amélioration des conditions socio-économiques urbaines, le droit de vote ouvert aux analphabètes en 1912...

L'influence de la Camorra s'amoindrit tant auprès des couches populaires que des couches supérieures, provoquant une marginalisation du phénomène cammoriste, accentuée, à partir de 1922, par la politique répressive du nouveau pouvoir fasciste de Benito Mussolini. Cette quasi-disparition perdure jusqu'au sortir de la Seconde Guerre mondiale.

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Activités criminelles

La Camorra est présente dans tous les secteurs de l’économie régionale napolitaine. Ses clans gèrent des trafics divers, la prostitution et les extorsions de fonds.

Ils sont également présents dans les offres publiques de chantiers, les adjudications et les activités liées à la dépense publique.

Le chef de la protection civile a ainsi reconnu « qu’en matière de gestion des déchets, la seule réalité gagnante est celle de la Camorra ».

Ces activités sont très nombreuses :

extorsion : les autorités estiment que la Camorra reçoit de l’argent de la part d'un grand nombre d'industries et entreprises de Naples et de ses environs sous forme d'un impôt appelé le pizzo. De plus, elle a investi dans des activités légales et contrôle totalement le commerce local des fleurs, de la viande, de la mozzarella et d'un nombre important de produits alimentaires typiques de la gastronomie du pays ;

La contrebande : contrebande d’objets volés, ou de contrefaçon, 

Le trafic de cigarettes : quasiment disparu depuis près de vingt ans, il est réapparu à Ercolano dans la banlieue de Naples après les hausses des prix du tabac en Europe ;

Le trafic de stupéfiants : en provenance du Maghreb pour le cannabis, de la Turquie pour l'héroïne, opium, et des pays d’Amérique du Sud pour la cocaïne.

La fraude aux subventions européennes : toutes les mafias du Sud de l'Italie, la Camorra en particulier, essayent de détourner les subventions européennes.

La production de béton en Campanie : après le séisme de 1980 en Irpinia, la Camorra a détourné des millions (en provenance de l'UE essentiellement) grâce aux contrats de reconstruction ;

La corruption de fonctionnaires, comme des policiers, carabiniers ou encore des élus locaux ou bien du gouvernement italien.

Sans oublier bien sûr les jeux clandestins.

En 2011, l'éco-criminalité et détournements afférents organisés par la Camorra étaient estimés à 16,6 milliards d'euros.

Les origines...

L'histoire de la Camorra comme organisation criminelle n'est pas linéaire et ses origines ne sont pas claires.

Certains auteurs ont fait descendre la Camorra d'une ancienne société secrète criminelle espagnole — la Garduña ou Guardugna — qui aurait été importée lors du règne des Bourbon-Sicile, recrutant ses membres au sein des détenus. D'autres évoquent une autre société secrète criminelle connue comme la Società Omertà qui, dès le tournant du XIXe siècle, bien qu'elle pratiquât la contrebande, le chantage, la corruption, le vol et le meurtre, constituait la seule expression du peuple et son unique régulation.

La Società se développe particulièrement à la suite de la révolution avortée de 1799, pendant la tourmente que connait l'Italie lors de son combat pour l'unification entre 1799 et 1815, dans une des villes alors les plus peuplées d'Europe, après Londres et Paris.

Naples n'a à l'époque pas connu de révolution industrielle et la ville, surpeuplée et sans ressources, dont l'activité est basée sur le luxe et les services offrant peu de travail à la main-d'œuvre faiblement qualifiée, abrite les classes populaires en son cœur qui, rejointes par les paysans pauvres, se soulèvent régulièrement.

La Camorra fait office, sous le règne de Ferdinand Ier de Bourbon, de police occulte, dans une véritable « cogestion » de l’ordre public réparti entre police et criminels. La Camorra n'ayant pas d'opinion, elle s'allie ensuite avec les forces du patriote italien Giuseppe Garibaldi et aide à l'expulsion des Bourbons d'Italie.

Après l'unification en 1870, le régime de la droite historique italienne l'utilise pour réprimer ses opposants politiques.

 

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De 1945 à aujourd'hui

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la Camorra entame sa mutation pour devenir ce qu'elle est aujourd'hui. Le séjour forcé à Naples de Lucky Luciano, parrain de la mafia américaine, faisant suite à son expulsion du territoire américain, contribuera à ranimer le phénomène criminel local qu'est la Camorra, notamment en passant des trafics illicites locaux aux trafics internationaux.

La Camorra s'allie avec des clans marseillais pour la contrebande de cigarettes. Mais elle n'a plus la structure verticale qui la caractérisait dans les siècles précédents, ce qui l'affaiblit dans sa prise de décision pour la direction des affaires face à la Cosa Nostra sicilienne. Elle se constitue d'une constellation de clans plus ou moins liés entre eux.

Proches de la CIA, avec laquelle des contacts avaient été établis pendant la Seconde guerre mondiale, des figures de la Camorra croisent le fer avec les communistes au début de la guerre froide. D'anciens responsables fascistes rejoignent cette coalition, comme l'armateur Achille Lauro, qui deviendra maire de Naples.

Dans les années 1970, Raffaele Cutolo, surnommé 'O Professore, incarcéré pour meurtre à la prison de Poggioreale, tente de réaliser ses projets. Il veut structurer la Camorra comme une organisation rattachée à un lieu géographique pour réguler le nouveau business du marché de la drogue.

Ainsi naît la Nuova Camorra Organizzata (NCO).

Mais cette organisation connaît une forte opposition qui se structure autour de la Nuova Famiglia (NF). Cette dernière fait la guerre à la Camorra de Cutolo. La guerre entre les deux organisations est impitoyable et se conclut en 1983 par la défaite de la NCO. Les victimes se comptent par centaines et parmi eux beaucoup d'innocents. Peu de temps après, la NF disparaît d'elle-même n'ayant plus de raisons d'exister.

En 1981, Raffaele Cutolo fait pression auprès des Brigades rouges afin qu'elles acceptent de libérer un de leurs prisonniers, Ciro Cirillo, un politicien important membre de la Démocratie chrétienne.

En 1992, le capo Alfieri tenta à nouveau de structurer la Camorra de manière verticale avec la création de la Nuova Mafia Campana (NMC). Mais cette nouvelle organisation disparait peu de temps après, à la suite de l'arrestation d'Alfieri et le fait qu'il devienne un pentito, un repenti.

De nos jours, la Camorra est une organisation horizontale avec plusieurs clans qui luttent entre eux.

Le 30 novembre 2004, plusieurs milliers de manifestants se sont retrouvés dans les rues de Naples, pour protester contre la mafia locale Camorra. En 2004, les règlements de compte entre bandes mafieuses rivales ont fait 139 morts, surtout dans les quartiers défavorisés de Scampia et de Secondigliano de cette même ville. Cette guerre mafieuse n’a pas encore atteint l’ampleur de celle qui avait fait 273 morts pour la seule année 1981

Dans les années 1990, Paolo Di Lauro, le parrain tombé en 2005 et décrit dans Gomorra, de Roberto Saviano, en a fait un empire mondial de la cocaïne. 

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La structure

Les chiffres concernant la Camorra, tant pour ses membres que pour ses revenus, donnent lieu à des fluctuations, vu la nature illicite des activités de l'organisation qui n'est, en outre, pas centralisée et dont les membres sont souvent assez jeunes. Selon les sources, le nombre total de ses membres oscille entre 4 500 et 7 000 camorristes dans la région de Campanie, et est organisée autour d'une centaine de familles ou clans.

Rien qu'à Naples, on dénombrait, en 1993, 67 familles avec 2 542 camorristes. Ces familles ont une grande facilité à s'unir ou à se séparer. Elles n'ont pas une structure verticale, comme chez Cosa Nostra, mais plutôt horizontale.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les deux seules tentatives de structurer la Camorra verticalement se sont soldées par des échecs, et elles n'ont été que temporaires.

Chaque clan est indépendant et ne se soumet qu'à son propre capo ou parrain. C'est pour cela qu'il est malvenu de parler de la Camorra comme d'un phénomène criminel unitaire et organique. Dans son fonctionnement, elle est extrêmement fragmentée et chaotique. Elle est souvent comparée à une hydre, car lorsqu'un clan est dissous sur un territoire, dix sont prêts à le remplacer aussitôt.

À la tête d'une famille, se trouve un « Capintesta » un chef-en-tête, tandis que le consigliere chez Cosa Nostra se nomme contaiuolo, le Conteur.

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Les implications

L'Espagne serait le pays le plus lié à la Camorra.

Dans une interview au quotidien espagnol El País, Roberto Saviano, explique que Nuvoletta, Michele Zaza et d’autres membres de la Camorra recyclent massivement leurs gains illicites dans l’industrie touristique andalouse, acquérant hôtels, restaurants et night-clubs. À tel point que les camorristes auraient rebaptisé la Costa del Sol, la « Costa Nostra », allusion à la Cosa Nostra.

La Camorra aurait également pris le contrôle des importations en Europe de cocaïne colombienne par des filières installées à Madrid et Barcelone. Selon lui, l’Espagne serait « envahie par l'argent de la Camorra », mais « la classe politique locale n'en aurait pas encore pris conscience ».

En France, Michele Zaza a eu d’importantes activités dans le trafic de cigarettes autour du port de Marseille. Il a été arrêté le 15 mars 1989, soupçonné aussi de trafic de cocaïne.

La Camorra est présente dans le 12e arrondissement de Paris (textile), à Nice, Lyon, Marseille, Montpellier et Bordeaux.

Le trafic de déchets

La Camorra a longtemps détenu le monopole du ramassage des ordures en Campanie, et contrôle de nombreuses décharges. Leur fermeture progressive ainsi que la présence de déchets illégalement enfouis dans les sols est en partie à l'origine de la crise des déchets dans la région de Naples. La gestion des ordures est d'ailleurs gérée par état d'urgence depuis 1994.

Depuis des décennies, la Camorra a aussi pour habitude d'envoyer ses déchets en Roumanie dans des gropi, ( « fosses » en roumain).

Via des sociétés-écrans elle ouvre une multitude d'agences de traitement des déchets originaire de Campanie.

Depuis 2009, la mafia a décidé de faire de la décharge de Glina en Roumanie, la plus grande d'Europe.

Les clans camorristes sont très implantés dans le nord-ouest du pays, Bucarest et sa région.

De plus, l'Union européenne finance la modernisation du système roumain de traitement des ordures. Les fonds sont en partie détournés par la Camorra qui fait disparaître les déchets pour deux à trois fois moins cher en les mélangeant à d'autres, ce qui est impossible en Italie.

Depuis l'entrée de la Roumanie dans l'Union européenne en janvier 2007, le crime organisé s'est emparé du « secteur écologique » qui s’avère plus profitable que le trafic de drogue avec, de son point de vue, un triple avantage : les investissements sont faibles, des masses d'argent générées par l'ensemble des activités de la Camorra peuvent être blanchies par ce biais sous une apparence légale et les peines encourues en cas de poursuites judiciaires, causées par les irrégularités, sont minimes.

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Internationalisation

Très décentralisée, la Camorra est restée longtemps à l’écart des grands marchés internationaux criminels. Cependant, depuis plusieurs années elle a développé des activités criminelles significatives en Espagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Suisse.

Dans son livre Gomorra, Roberto Saviano évoque également l’internationalisation vers la France, la Roumanie et le Maroc., auxquels il faut rajouter, dans une moindre mesure, la Côte d’Ivoire.

La Camorra entretient également plusieurs relations avec des cartels de la drogue, principalement des Péruviens et des Colombiens. Les liens entre les cartels de la drogue en Amérique du Sud et les clans de la Camorra remontent au moins aux années 1980, ayant stabilisé au fil des ans de nombreuses chaînes de drogue privilégiées d'Amérique du Sud vers l'Europe.

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Menaces sur des personnalités

La Camorra a menacé de mort plusieurs juges, policiers ou journalistes, dont Roberto Saviano, l'auteur du livre Gomorra qui vit désormais sous protection policière en permanence, et qui dénonce ses agissements dans son ouvrage "Gomorra". Giulio Cavalli, acteur de théâtre, est actuellement menacé par la pour s'être moqué de la Camorra dans ses pièces.

Des faides, vengeances privées entre familles, proches de la vendetta, opposent régulièrement des clans de la Camorra.

Fin 2004 et début 2005, une tentative de sécession à l’intérieur du clan de Paolo Di Lauro a déclenché, dans les quartiers Scampia et Secondigliano, un conflit meurtrier qui fit 134 morts. 

Dans les années 1990, Paolo Di Lauro en a fait un empire mondial de la cocaïne.

Fin octobre 2006, une vague de crimes fait dix-huit morts. Ces crimes résulteraient d’une modification des équilibres dans l’aire napolitaine, avec la constitution de deux cartels : les clans Misso-Mazzarella-Sarno contre l’alliance de Secondigliano de Di Lauro, Licciardi.

Le 18 septembre 2008, six Africains sont criblés de balles à Castel Volturno fief de la mafia nigérianne, par le clan des Casalesi, sur fond de lutte de pouvoir entre ce clan camorriste et le milieu criminel africain.

La Camorra blanchit ses revenus dans le bâtiment, la banque ou le traitement des déchets. Incontournable, elle est désormais surnommée O Sistema, le Système.

Et malgré les efforts du maire Luigi De Magistris, ancien procureur, pour «nettoyer» sa ville, des milliers de Napolitains décrochent encore un travail grâce à elle...

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Sources

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