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Gran Teatro La Fenice...

C’est l'histoire d’un bâtiment prédestiné à faire face aux flammes. La Fenice - le Phénix en italien - un des monuments du bel canto, a connu plusieurs incendies dans son histoire et a dû savoir renaître de ses cendres.

Retour sur le passé maudit de cet opéra si cher aux Vénitiens, .

Avec son oiseau mythologique en guise d’emblème, La Fenice est l'une des scènes les plus réputées pour l'Opéra. Verdi y a notamment créé la Traviata et Rigoletto. Stravinsky, Britten ou encore Prokofiev ont composé des oeuvres pour ce lieu et la Callas s'y est distinguée en y tenant deux rôles dans le même mois.

Mais La Fenice reste aussi marquée depuis sa naissance en 1792 par des incendies à répétition.

Le Gran Teatro de Venise se loge sur la place San Fantin, à deux pas de la place Saint Marc.

Au détour d’une ruelle, le bâtiment apparaît. Pas très grand et dans un style néo-classique, La Fenice semble se détourner de la grandiloquence du style baroque.

Mais derrière ses murs, l’opéra cache une salle de théâtre pompeuse et chargée en décoration rococo. Les nombreuses dorures et moulures se détachent de la sérénité apparente du plafond bleu azur.

La forme traditionnelle de la salle en fer à cheval permet aux spectateurs tout autant d’assister aux spectacles que d’être vus. Dans la lignée des bâtiments vénitiens, La Fenice possède deux entrées : une façade principale, qui est la seule partie ayant survécu aux incendies; et une façade donnant sur le canal pour permettre aux plus riches familles de venir en gondole.

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Reconstruit en un an

1836 : le bâtiment en cendres est reconstruit en un an.

La renommée du lieu vient aussi d’événements beaucoup plus tragiques. La Fenice, qui est née des cendres du San Benedetto, a connu encore deux incendies depuis. Le premier en 1836, dans la nuit du 13 au 14 décembre. Ce jour là, on répète un opéra présenté deux ans plus tôt à Naples : Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti. Vers une heure du matin, le gardien du théâtre est réveillé par une forte odeur de brûlé. Alors que La Fenice s’apprête à vivre le carnaval d’hiver, le bâtiment s’embrase à cause d’un poêle défectueux venant d’être installé. Des guetteurs de la place Saint-Marc donnent l’alerte mais rien n’y fait. En près de trois heures, le feu emporte tout sur son passage, hormis la façade et la verrière. 

C’est un deuil qui peut rapidement être oublié car La Fenice se relève aussi vite qu’elle s’est consumée. C’est alors que son nom devient prophétique.

Par la volonté du pouvoir autrichien, l’opéra est reconstruit par Giovanni Battista Meduna et son frère Tommaso en moins de six mois.

La fresque au plafond est confiée à Tranquillo Orsi. L'assurance austro-italienne Generali fondée en 1831 apporte au théâtre une aide financière majeure pour les travaux. La salle rouvre un an après le drame, en décembre 1837, avec un opéra composé spécialement pour l'occasion par Giuseppe Lillo : Rosmunda in Ravenna. L'opéra est accompagné d'un ballet d'Antonio Cortesi.

Le délai de reconstruction très court a permis à La Fenice de vite se relever mais a également engendré des problèmes durables d’exploitation de la salle.

En 1854, les propriétaires font redécorer le théâtre.

Celui-ci ne bougera pas jusqu’en 1996.

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Reconstruire La Fenice « Dov'era, com'era »

(« telle qu'elle était et où elle était »)

Dans le film Senso, de Luchino Visconti, c’est dans La Fenice que les nationalistes italiens revendiquent leur souhait d'en finir avec l’occupation autrichienne. Dans cette scène d’ouverture, les opposants exaltés par le troisième acte du « Trouvère » de Verdi lancent des tracts aux couleurs du drapeau italien.

Ils crient « Viva Verdi » pour montrer par un acronyme leur attachement à Victor Emmanuel, Roi D’Italie.

Heureux hasard, ces images du réalisateur italien deviennent d'autant plus précieuses car elles serviront à reproduire fidèlement ce décor mythique.

Après l’indignation pour ce crime stupide, place aux soutiens. Alors que la direction et la ville annoncent trois années de reconstruction, des Etats, associations et citoyens du monde entier se mobilisent pour apporter une aide financière.

La réouverture est prévue en décembre 1999 avec un concert dirigé par Riccardo Muti. C’est l’entreprise Impregilo qui remporte l'appel d'offres pour le chantier. Mais après seulement quelques semaines de travaux, l’entreprise Holzmann-Romagnoli, arrivée deuxième de la compétition, dépose un recours devant le tribunal administratif. Le projet ne prendrait pas en compte une annexe du théâtre. Les travaux s’arrêtent donc en attendant la décision de justice. La Holzmann-Romagnoli remporte finalement le chantier suite à une décision du Conseil d’Etat.

L’architecte chargé du projet, Aldo Rossi, n’apprendra même pas la nouvelle car il meurt entre temps dans un accident de la route. Il faut s’adapter au nouveau projet de Rossi mais le temps passe et la volonté des Vénitiens de voir leur théâtre se relever n’est toujours pas exaucée. En 2000, c’est donc le nouveau maire de la ville, Paolo Costa, qui décide d’accélérer le projet. L’autorité publique prend en main le chantier et le confie à une nouvelle société, avec l’obligation de le finir pour novembre 2003.

La Sacaim finit les travaux en 630 jours.

Le théâtre reprend forme comme par magie, presque à l'identique. Selon Lucien d'Azay, écrivain vivant à Venise, l'acoustique est même devenue meilleure. Ce dernier regrette juste la patine irremplaçable qui était due à la fumée des cigarettes et des bougies, quand l'on pouvait encore dîner dans les théâtres. 

La Fenice rouvre officiellement ses portes le 14 décembre 2003 avec Die Weihe des Hauses (L’Inauguration de la maison) de Beethoven par Riccardo Muti. Après ces multiples péripéties, Venise retrouve l’un de ses plus précieux joyaux.

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Née d'un incendie
et des ambitions de la famille Grimani

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la Sérénissime vit une période de dynamisme culturel.

On y mène une existence faste. C’est alors que l'on délaisse les opéras dans le cadre privé. Les riches familles vénitiennes commencent à financer des salles de théâtre pour que les opéras soient représentés en public.

Les familles prouvent leur richesse par l'architecture de ces lieux et la majestuosité des pièces d’opéra. Posséder une telle enseigne marque les esprits de toute la cité et du reste du monde.

Pendant plusieurs décennies, ces théâtres seront donc l’enjeu de guerres symboliques. Les Grimani sont l'une de ces familles. Ces Patriciens ont fondé au XVIIe l’un des plus grands théâtres d’Opéra dramatique de l’époque : l’Opéra San Giovanni Grisostomo. En 1753, alors que la réputation de leur opéra baisse suite à des représentations d’opéra plus léger - Opéra buffa - Michiel Grimani décide de construire le San Benedetto. Il cherche à redevenir le fer de lance de l’Opera seria, opéra dramatique. Mais assez vite la famille Grimani doit faire face à la crise économique et à une crise du genre lyrique. En 1766, Michiel Grimani est obligé de céder le San Benedetto aux propriétaires des loges et l’opéra finira même par brûler quelques années plus tard en 1773. Reconstruit, le San Benedetto passera définitivement entre les mains de la famille Vénier en 1786, à la suite d'un long procès. 

C’est donc par les flammes que La Fenice naît. Les Grimani et la Nobile Società di Palchettisti chargent l’architecte Gian Antonio Selva de construire un nouveau théâtre à un nouvel emplacement en 1790. Il ne se soucie guère de la décision, qui avait été prise par les magistrats vénitiens quelques années plus tôt, interdisant d’ériger un nouveau théâtre sans l’accord du Conseil. Les magistrats étaient irrités de cette folie constructrice des familles vénitiennes alors que la ville connaissait des difficultés économiques. Certaines familles ne peuvent même plus payer leurs employés.

La Nobile Società di Palchettisti nomme donc son théâtre selon l’oiseau mythologique ressuscitant, le Phénix, en allusion à ses démêlés juridiques et à l’incendie du San Benedetto. Deux ans plus tard, en 1792, les Vénitiens peuvent venir assister aux premières représentations dans ce qui deviendra l'un des théâtres les plus reconnus du monde.

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Eviter des indemnités de retard...

1996 : deux électriciens déclenchent un feu dévastateur pour éviter des indemnités de retard dérisoires. C’est dans la nuit du 29 janvier 1996 que la légende est ravivée. Vers 21h, des cris émanent du campo San Fantin. Une épaisse fumée se dégage de La Fenice. Pendant plus de huit heures, les secours vont essayer de calmer le feu mais avec bien de la peine car les canaux jouxtant le théâtre sont asséchés pour cause de nettoyage. L’intervention s’annonce compliquée dans cette ville qui ne compte aucune bouche d’incendie. Les habitants impuissants ne peuvent que regarder leur patrimoine brûler en espérant que les flammes ne se propagent pas au reste de la ville à cause du vent.

Le feu finalement apaisé, on ne peut que constater les dégâts, et ils sont de taille. Le comble étant que la salle était en train de se doter de nouveaux systèmes anti-incendie. Les anciens systèmes étaient alors débranchés car ils se déclenchaient souvent avec les poussières dues aux travaux.

Les Vénitiens s’expriment alors et affirment leur souhait de reconstruire La Fenice     « Dov'era, com'era » (« telle qu'elle était et où elle était »).

Mais telle qu’elle était en 1792 ou en 1837 ? D'autres voix se prononcent en faveur d’un tout nouvel opéra qui ferait rentrer la Cité des Doges dans une nouvelle ère.

C’est le cas de l’architecte Renzo Piano. Mais cela ne se fera pas.

Finalement, la Fenice ressuscitera de ses cendres dans sa version de 1837.

L’équipe du théâtre s’installe sur l'île de Tronchetto, sous un chapiteau géant, près d’un parking et d’un complexe pétrochimique, pour que les 350 salariés puissent continuer leur activité. En parallèle, on cherche à déterminer l’origine de l’incendie. On pense d’abord que la catastrophe a été provoquée par un court-circuit du système électrique en cours d’installation. Mais au bout de quelques semaines, les experts découvrent que l’incendie est d'origine criminelle.

On entend alors des suppositions en tout genre mais le suspens s’arrête en mai 1997. Les auteurs du crime sont Enrico Carella et Massimiliano Marchetti, deux électriciens qui ont agi ainsi pour éviter d'avoir à payer des indemnités de retards sur la livraison des travaux. Les deux collègues, refusant de perdre un peu moins de 10 000 euros, ont mis le feu à leur ouvrage. Ils ne s’imaginaient pas que le feu allait tout emporter sur son passage. Marchetti a été condamné à six ans de prison et Carella à sept ans.

Ce dernier a pris la fuite avant son procès, il a été retrouvé en 2007 au Mexique et a été extradé en Italie.

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La Fenice

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