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Carmine Crocco

Le Robin des bois italien ?

Si, en France comme ailleurs, les histoires de gangsters, de mafieux ou de pirates fascinent, celle de Carmine Crocco, dit Donatello, ou encore Donatelli, reste méconnue dans l’Hexagone.

Pourtant, le parcours de ce brigand italien, arrêté il y a maintenant 150 ans, le 24 août 1864, vaut le détour.

Jugé coupable de 67 homicides, 7 tentatives d’homicides, 4 attentats à l’ordre public, 5 faits de rébellion, 20 d’extorsion et de 15 incendies de maisons et de récoltes, Crocco a de quoi faire trembler bon nombre de hors-la-loi.

Sauf qu’il n’est pas un brigand comme les autres. Il est un des rares à avoir dirigé une horde de 2 000 hommes. Sévissant dans le sud de l’Italie, il a mené une véritable guérilla sur fond de guerre des Deux-Siciles.

Alors que beaucoup, parmi les truands célèbres, le sont devenus par filiation, par volonté de s’enrichir ou encore par conviction politique, il n’en est rien pour Carmine Crocco. Dans son cas, c’est à cause d’un chien.

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L'histoire

En avril 1836, le futur brigand a 6 ans et sa famille vit une existence miséreuse dans la région de Basilicate, au petit village de Rionero in Vulture.

Mais un matin, un chien fait irruption dans leur maison, pourchassant un lapin qui représentait une des rares richesses des Crocco.

Le frère de Carmine suit l’animal en tentant de lui faire lâcher prise, lui assène un violent coup sur le museau, qui le tue. Sauf que le chien en question appartient à un bourgeois local, don Vincenzo.

De colère, celui-ci bat la mère de famille, tuant le sixième enfant qu’elle portait
en elle. Le père tentera de la venger, mais sera emprisonné pour tentative de
meurtre. La mère sombre dans une profonde dépression et les enfants sont livrés à eux-mêmes.

De cet événement, Carmine Crocco gardera en lui le dégoût de l’injustice.

Dans ces mémoires rédigés aux alentours de 1870, rare document disponible à son sujet, il déclare :

« J’ai bien connu à mes dépens, cette machine monstrueuse qui broie la vie et l’honneur des pauvres gens sans défense. »

Engagé dans l’armée de Ferdinand II des Deux-Siciles alors qu’il est adolescent, il déserte au bout de quatre ans, après avoir tué un de ses camarades.

A son retour dans son village natal, il constate que sa sœur a subi le déshonneur, injustement accusée de se prostituer par un homme des environs. Carmine Crocco tue ce dernier au couteau et se planque dans une forêt.

C’est là qu’il rencontre d’autres hors-la-loi et commence à vivre d’activités criminelles. Il est d’ailleurs arrêté le 13 octobre 1855, condamné à dix-neuf ans de prison. Mais Crocco s’évade.

La promesse de Garibaldi

A cette époque, le royaume des Deux-Siciles, dirigé par le Bourbon François II
et qui correspond à la moitié Sud actuelle de l’Italie, est en proie à des rébellions et des assauts d’autres royaumes voisins. L’unification de l’Italie est
proche.

Carmine Crocco, en cavale, entend dire qu’un général du royaume de
Sardaigne, Giuseppe Garibaldi, prévoit d’accorder l’amnistie à tous ceux qui le rejoindraient pour mener l’expédition des Mille de 1860. Cette dernière vise à conquérir le royaume des Deux-Siciles avec mille hommes.

Crocco s’engage donc cette fois contre les forces de Ferdinand II.

Contre toute attente, l’expédition est un succès et le royaume des Deux-Siciles est intégré à celui de Sardaigne.

Mais Carmine Crocco ne sera pas amnistié comme promis et est incarcéré une nouvelle fois en 1861.

Durant sa détention, le pouvoir nouvellement installé subit l’insurrection populaire, des révoltes paysannes dues, entre autres, à l’augmentation des impôts et à la misère ambiante. Les représailles sont sanglantes. Carmine Crocco, lui, nourrit une haine envers les forces de Sardaigne qui l’ont trahi.

Il parvient à s’évader pour la seconde fois et entreprend de devenir le bras armé de cette révolte paysanne et de soutenir désormais le roi déchu François II.

Ce dernier lui envoie un convoi d’hommes afin de reconquérir les provinces unifiées.

Mais plus que le soutien aux Bourbons, c’est le désir de vengeance et la haine envers les bourgeois qui ont soutenu l’invasion des Deux-Siciles, qui l’animent.

Son discours se politise :

« Que penses-tu de ces conditions qui perdurent depuis des siècles, quand ceux qui nous obligent à garder la tête basse depuis trop longtemps, de peur de voir dans nos regards le reflet de leur cupidité, nous remercient avec des promesses, nous humilient et nous soumettent par la misère et la faim, nous privent d’instruction et nous laissent dans l’ignorance en veillant jalousement sur leurs privilèges ? »

Les hommes de Carmine Crocco se réunissent, constitués de soldats vaincus, de hors-la-loi, de rebelles et de paysans. Son expérience militaire fait de lui un vrai chef de guerre.

Il s’installe, avec son armée, dans sa sous-région historique natale, la Vulture, en avril 1861.

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Robin des bois, en plus violent

Il conquiert plusieurs communes, y rétablissant l’autorité de François II. Les
pires exactions sont commises par ses hommes.

« Alors que nous poursuivions, nous vîmes sortir de l’édifice public qui nous faisait front un homme venir à notre rencontre. Il se présenta en tant que premier magistrat de la ville, venu négocier la reddition honorable des habitants de Vénosa. Tous acceptaient de rendre les armes, si la promesse leur était faite qu’ils n’auraient à subir aucune représailles. Sa préoccupation et sa peur se lisaient sur son visage. Je l’annonçais à mes troupes qui laissaient poindre, dans leurs cris de désapprobation et quelques coups de fusil tirés en l’air, leur grande frustration. »

Ces prises de villes sanglantes vont faire la réputation du brigand. Il dévalise
les caisses communales pour les redistribuer au peuple, faisant de lui une sorte de Robin des bois, en beaucoup plus violent.

« Enivrés par la violence et le vin, mes hommes s’adonnaient jusqu’au soir aux exactions les plus sordides, avant que je ne donne l’ordre d’arrêter le massacre. »

Malgré les horreurs commises, Crocco est soutenu par le pape Pie IX, lui-même alors hostile à l’unification des royaumes. Sous ses ordres, il
compte une dizaine d’hommes de confiance, ses « lieutenants ».

Le plus fidèle d'entre eux est Giuseppe Nicola Summa, dit Ninco Nanco, connu pour ses talents de tactiques militaires et, surtout, sa cruauté. Il est l'auteur de nombreuses attaques aux dépens de riches propriétaires et des militaires appartenant à la maison de Savoie.

Dans son village natal, Rionero, Crocco subit la riposte des notables de la ville qui empêchent cette prise symbolique.

Peu importe, durant sept mois, il saccage les villages avec le soutien de Josè Borjes, tacticien militaire venu l’épauler.

Mais le nombre de ses hommes diminue au fil des batailles, et les Bourbons, de plus en plus affaiblis, n’envoient plus de renforts. Borjes, sentant le vent tourner, le lâche. Les villes conquises retombent peu à peu aux mains des forces unifiées. Carmine Crocco et ses hommes se réfugient alors dans les bois.

C’est le début de la guérilla.

Trahi par l’un de ses lieutenants

Traqués, les hommes restants se divisent en petits groupes, plus difficiles à
appréhender. Puis se réunissent pour aller mener des expéditions militaires aux côtés d’autres brigands. Durant deux ans, Crocco fait couler le sang. L’Etat italien appelle alors les Légions hongroises à la rescousse pour venir à bout de cette armée de hors-la-loi invincibles.

Par ailleurs, dès 1863, l’insurrection populaire bat de l’aile, et Carmine Crocco a de plus en plus de mal à recruter des hommes et à susciter l’élan des populations locales.

Avec ses 250 hommes restants, il détrousse et abat les voyageurs, pille les récoltes, vandalise les villages de Basilicate.

Mais en septembre 1863, un de ses lieutenants, Giuseppe Caruso, Beppe Zi, le trahit et livre les positions du groupe retranché dans les bois.

Les représailles envers les brigands se traduisent à l’époque par des exécutions sommaires. En moins d’un an, son groupe de hors-la-loi est décimé, ses lieutenants tombent les uns après les autres, y compris Ninco Nanco, et Crocco se retrouve vite seul, traqué.

Il erre pendant plusieurs semaines, acculé, tentant de rejoindre Rome pour trouver la protection du pape, mais est arrêté le 24 août 1864 avant de parvenir à destination.

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Le Mesrine italien

Son histoire ne traverse cependant pas les Alpes, malgré son côté romanesque, et rares sont les documents francophones disponibles à son sujet. A part une page Wikipédia et quelques biographies publiées sur Internet, c’est vers ces mémoires, difficilement consultables, qu’il faut se tourner.

Si son écho en France est timide, c’est aussi parce que la Révolution française avait déjà eu lieu depuis longtemps au moment où Carmine Crocco a commencé à sévir. Les héros antipatriotiques n’étaient pas vraiment au goût du jour.

Mais en Italie, la fascination pour ce personnage à l’histoire singulière est comparable à celle que peut susciter un Jacques Mesrine chez nous.

Les exactions commises sont souvent excusées par la mémoire collective au profit des combats populaires menés. Pour Mesrine, ce furent les conditions d’incarcération et la lutte pour la suppression des quartiers de haute sécurité des prisons. Pour Crocco, ce furent les injustices subies par les paysans et les inégalités provoquées par l’enrichissement de la bourgeoisie italienne lors de l’unification de l’Italie :

« A l’ombre de ces injustices, je laissais grandir en moi une haine que je chérissais afin qu’elle me donne la force et la fureur de faire couler le sang des tyrans, des traîtres et des arrogants, coupables d’avoir donné un goût si amer à la douceur de l’amour d’une mère. »

 

Brice Miclet
Source Nouvelobs.com

« Pour moi, la patrie est une catin »

Son procès dure trois mois et débouche sur une condamnation à mort. Mais
celle-ci sera transformée en une détention à vie. Cette fois, Carmine Crocco ne s’échappera pas. En prison, il rédige ses mémoires, avec l’aide du capitaine de l’armée royale Eugenio Massa. Si ce récit est à prendre avec des pincettes, la réalité y étant souvent travestie, il est ensuite complété par les travaux d’historiens italiens qui contribuent à faire de Carmine Crocco un mythe populaire, un héros au service des opprimés.

C’est dans ces mémoires que le brigand expose les raisons de son combat. La rancœur envers les injustices sociales, la haine envers la patrie italienne, le traumatisme dû au tragique épisode du chien durant son enfance...

« C’est toujours au nom de la patrie et de la loi qu’ils viennent nous chercher en nous enrôlant de force à la défense de leurs privilèges et de leurs jeux cruels. Mais je vais te dire que pour moi, la patrie est une catin, et la loi pire encore. Car vois-tu, toutes deux ont tous les droits et jamais aucun devoir envers ces fils de la misère, qui appellent leur mère, alors qu’elles les pleurent, pendant qu’ils se vident de leur sang, au hasard des champs de bataille. »

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Pour aller plus loin un livre...

"Ma vie de brigand"

de Carmine Crocco (Auteur), Pierre-Yves Manchon (Préface), Laura Brignon (Traduction)

Ces pages, retraçant selon lui la voie du crime, dépeignent un homme issu d’une terre déshéritée, porté par une rage et une ambition gigantesques. Tour à tour matois, sincère, séduisant, cynique ou repoussant, Carmine Crocco se livre à l’édification d’un étrange autoportrait, méditatif ou arrogant, pour planter au

bout du compte la figure protéiforme d’un homme de peu en quête de grandiose.

Que le Risorgimento ait été une œuvre d’unification ou la conquête du Sud par le Nord, l’Italie vacille encore aujourd’hui au souvenir de ces jours terribles, dont Crocco cristallise toutes les contradictions.

Et un documentaire (en italien)

"Carmine Crocco, dei briganti il Generale"

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